En fait, si les bâtisseurs de programmes de l’Education Nationale y prêtaient attention, ils interdiraient aux enfants la lecture du Rouge et le Noir. Trop dangereux pour une nation. Explication.
D’abord, la dénonciation brutale des nantis. Que ce soit le maire de Verrières, M. de Rênal, ou le ministre du Roi, le Marquis de la Mole, l’image des puissants croquée par Stendhal n’est guère séduisante : faibles, naïfs ou bien arrogants et calculateurs, ils font très fin de race. Impuissants à tout acte de force, contrairement à Julien, qui, lui, est emporté dans un tourbillon de passions et de violences, d’intelligence et de volonté. En somme des valeurs aristocratiques. Bref, le monde à l’envers. Mais le monde tel qu’il est. Pour le collégien, c’est lui enseigner à mépriser son professeur...
Le Rouge et le Noir, c’est également, l’athéisme à l’état pur. Nietzsche ne s’y trompera pas, lorsqu’il dira dans Ecce Homo : « Peut-être suis-je même jaloux de Stendhal. Il m'a volé le meilleur mot que mon athéisme eût pu trouver « La seule excuse de Dieu c'est de ne pas exister.» » En effet, Julien se sert au sens propre de l’Eglise pour arriver. Son idole est Napoléon et non le Christ, symbole d’une philosophie de l’agonie, du pardon, de l’égalité. Sorel lui ne rêve que d’empire. Sur soi, les autres, le monde. En un sens, il est un peu à sa manière une esquisse du Surhomme que pensera le philosophe quelques décennies après. Encore une fois, rien de très séant à notre jeunesse.
Enfin, et c’est là le génie de Stendhal, Le Rouge et le Noir renvoie dos à dos l’héritage révolutionnaire et le marasme monarchique. La Révolution qui ne peut mener qu’à un monde fait d’illusions, où l’humain prend son désir pour de la réalité, jusqu’à la folie. La Monarchie qui a perdu tout désir d’être, et qui n’est plus que dans le paraître des salons mondains.
En ce début de XXIe siècle, les individus se cherchent toujours, incapables, comme Julien Sorel, de devenir ce qu’ils sont. Si l’Ecole ne l’enseigne pas, laissons Stendhal nous l’apprendre.
La présente édition est la reproduction de celle de novembre 1830 chez les éditions Levasseur.
Stendhal — pseudonyme de Marie-Henri Beyle — est né à Grenoble le 23 janvier 1783. Son autobiographie, Vie de Henry Brulard, retrace son enfance provinciale. Son parent et protecteur le fait travailler sous ses ordres au ministère de la Guerre. En 1800, il quitte Paris pour l'Italie où il est nommé sous-lieutenant de cavalerie. Il a des ambitions sociales et littéraires. En 1810, il revient à Paris où il est nommé auditeur au Conseil d'Etat et inspecteur des bâtiments de la Couronne. Dandy et de brillant causeur, il fréquente les salons et les théâtres à la mode et connaît diverses aventures amoureuses. Il commence à publier à partir de 1814 et effectue plusieurs séjours en Italie, sa patrie d'élection. Le Rouge et le Noir, son premier chef-d'oeuvre, paraît en 1830. En 1931, il est nommé Consul à à Civitavecchia. En 1837, il retrouve Paris où il reprend sa vie mondaine tout en continuant d'écrire et de publier. La Chartreuse de Parme, son second chef-d'oeuvre, paraît en 1839. Il regagne Civitavecchia puis revient à Paris où il meurt le 28 mars 1842.