Un jour, je lui dis:ÑLa philosophie vous manque, j'entends celle que les Allemands appellent mtaphysique. Vous avez des savants, vous n'avez pas de penseurs. Votre Dieu vous gne; il est la cause suprme, et vous n'osez raisonner sur les causes par respect pour lui. Il est le personnage le plus important de l'Angleterre, je le sais, et je vois bien qu'il le mrite; car il fait partie de la constitution, il est le gardien de la morale, il juge en dernier ressort dans toutes les questions, il remplace avec avantage les prfets et les gendarmes dont les peuples du continent sont encore encombrs. Nanmoins ce haut rang a l'inconvnient de toutes les positions officielles; il produit un jargon, des prjugs, une intolrance et des courtisans. Voici tout prs de nous le pauvre M. Max Millier qui, pour acclimater ici les tudes sanscrites, a t forc de dcouvrir dans les Vdas l'adoration d'un dieu moral, c'est--dire la religion de Paley et d'Addison. Il y a quinze jours, Londres, je lisais une proclamation de la reine qui dfend aux gens de jouer aux cartes, mme chez eux, le dimanche. Il parat que, si j'tais vol, je ne pourrais appeler mon voleur en justice sans prter le serment thologique pralable; sinon, on a vu le juge renvoyer le plaignant, lui refuser justice et l'injurier par-dessus le march. Chaque anne, quand nous lisons dans vos journaux le discours de la couronne, nous y trouvons la mention oblige de la divine Providence; cette mention arrive mcaniquement, comme l'apostrophe aux dieux immortels la quatrime page d'un discours de rhtorique, et vous savez qu'un jour la priode pieuse ayant t omise, on fit tout exprs une seconde communication au parlement pour l'insrer. Toutes ces tracasseries et toutes ces pdanteries indiquent mon gr une monarchie cleste; naturellement celle-ci ressemble toutes les autres: je veux dire qu'elle s'appuie plus volontiers sur la tradition et sur l'habitude que sur l'examen et la raison. Jamais monarchie n'invita les gens vrifier ses titres. Comme d'ailleurs la vtre est utile, voulue et morale, elle ne vous rvolte pas; vous lui restez soumis sans difficult, vous lui tes attachs de coeur; vous craindriez, en la touchant, d'branler la constitution et la morale. Vous la laissez au plus haut des cieux parmi les hommages publics; vous vous repliez, vous vous rduisez aux questions de fait, aux dissections menues, aux oprations de laboratoire. Vous allez cueillir des plantes et ramasser des coquilles. La science se trouve dcapite; mais tout est pour le mieux, car la vie pratique s'amliore, et le dogme reste intact.
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