ñUn jour que Walter Raleigh, enferm_ ö la Tour de Londres, travaillait, selon sa coutume, ö la seconde partie de son Histoire du Monde, une rixe _clata sous sa fenðtre. Il alla regarder ces gens qui se querellaient, et quand il se remit au travail, il pensait les avoir trðs bien observ_s. Mais le lendemain, ayant parl_ de cette affaire ö un de ses amis qui y avait _t_ pr_sent et qui mðme y avait pris part, il fut contredit par cet ami sur tous les points. R_fl_chissant alors ö la difficult_ de connaÓtre la v_rit_ sur des _v_nements lointains, quand il avait pu se m_prendre sur ce qui se passait sous ses yeux, il jeta au feu le manuscrit de son histoire.
ñSi les juges avaient les mðmes scrupules que Sir Walter Raleigh, ils jetteraient au feu toutes leurs instructions. Et ils nÍen ont pas le droit. Ce serait de leur part un d_ni de justice, un crime. Il faut renoncer ö savoir, mais il ne faut pas renoncer ö juger. Ceux qui veulent que les arrðts des tribunaux soient fond_s sur la recherche m_thodique des faits sont de dangereux sophistes et des ennemis perfides de la justice civile et de la justice militaire. Le pr_sident Bourriche a lÍesprit trop juridique pour faire d_pendre ses sentences de la raison et de la science dont les conclusions sont sujettes ö dÍ_ternelles disputes. Il les fonde sur des dogmes et les assied sur la tradition, en sorte que ses jugements _galent en autorit_ les commandements de lÍÄglise. Ses sentences sont canoniques. JÍentends quÍil les tire dÍun certain nombre de sacr_s canons. Voyez, par exemple, quÍil classe les t_moignages non dÍaprðs les caractðres incertains et trompeurs de la vraisemblance et de lÍhumaine v_rit_, mais dÍaprðs des caractðres intrinsðques, permanents et manifestes. Il les pðse au poids des armes. Y a-t-il rien de plus simple et de plus sage ö la fois? Il tient pour irr_futable le t_moignage dÍun gardien de la paix conðu m_taphysiquement en tant quÍun num_ro matricule et selon les cat_gories de la police id_ale. Non pas que Matra (Bastien), n_ ö Cinto-Monte (Corse), lui paraisse incapable dÍerreur. Il nÍa jamais pens_ que Bastien Matra f_t dou_ dÍun grand esprit dÍobservation, ni quÍil appliquät ö lÍexamen des faits une m_thode exacte et rigoureuse.